Retrouvez l’album photo de l’étape ici.
22-24 avril : escale à Pwllheli
6h30, le réveil sonne. Ce qui fait une bien trop courte nuit comme nous nous sommes couchées vers 3h, après une navigation express de deux cent milles depuis les îles Scilly. Mais le vent de Sud-Est va se lever rapidement, ce qui rendra notre mouillage sur la plage d’Abersoch intenable. Et la marée descend, nous ne devons pas traîner pour avoir assez d’eau dans le port que nous visons : Pwllheli.
Oui oui, Pwllheli avec un W et deux L. C’est du Gallois, et ça se prononce à peu près comme « port chéri » en mouillant un peu les « r ». L’entrée est étroite, et pas très profonde, mais ça passe en relevant un peu la dérive. Nous nous voyons attribuer avec soulagement une place facile à prendre en bout de ponton et nous voilà amarrées au Pays de Galles !
L’année dernière avec Saltimbanque, nous avions fait comme l’immense majorité des voyageurs Français et étions passées par l’Irlande. Cette année nous avons une motivation supplémentaire pour sortir des sentiers battus comme nos amis de l’Escale sont de passage inopiné dans leur famille Galloise, ce qui nous donne une occasion rêvée pour se revoir. Direction le Pays de Galles donc, un tout nouveau territoire à rajouter sur notre CV nautique… ce que nous ne regretterons pas, c’est un pays qui mérite le détour, pour ses paysages étonnamment montagneux autant que pour sa culture fièrement celte !
Mais pour l’heure nous sommes un peu fatiguées de nos deux jours de navigation, et décidons de nous reposer en… finissant d’assembler notre régulateur d’allures ! Avec une mer aussi plate que dans ce port, nous parvenons à tout visser sans perdre le moindre écrou. Voilà, les boulons sont serrés au couple, l’aérien passe tout pile sous le portique et entre les pantoires de l’annexe dans le bossoir, il n’y a plus qu’à aller l’essayer en mer maintenant… On peut enfin se débarrasser de ces quatre immenses boîtes qui prenaient beaucoup trop de place dans notre cabine d’amis.
Nous décidons de nous offrir le luxe de deux nuits supplémentaires au ponton afin de prendre le temps de découvrir la petite ville, et de continuer à entretenir UtPåTur plus facilement. Nous avons toujours une belle liste de travaux à faire. Par exemple nous avons un super système de jet d’eau pour nettoyer l’ancre mais la pompe ne fonctionne plus et il nous en faut une nouvelle, nous devons aussi remplacer la manille ouvrante cassée pendant la dernière nav, reboucher des petites fuites sur un hublot et un passage de câble, puis imaginer un système de sous-barbe pour rigidifier la delphinière articulée qui du coup s’articule un peu trop lorsqu’on est sous spi… Un bon tour de nettoyage et assèchage du bateau également, une lessive, et bien sûr, la réalisation d’un nouveau pavillon de courtoisie ! Celui-ci présente un défi intéressant : le fameux dragon rouge…
Mercredi, nous dédions la journée à l’exploration des environs. C’est que c’est jour de marché, vanté sur la page wikipédia de la ville, et nous espérons pouvoir refaire nos stocks de fruits et légumes frais ! Nos pas nos mènent donc au-delà des frontières du port… Le cadre est vraiment joli, avec une vue imprenable sur le massif de Snowdon. La ville en elle-même nous parait plutôt austère, avec ses maisons grises aux façades toutes plates. Les gens au contraire sont très avenants, discutent vite et sont plutôt bavards. Mais surtout… ils parlent tous gallois entre eux ! Nous qui pensions que le « Welsh » était une langue anecdotique, comme le Breton chez nous, ici à Pwllheli 80% des gens le parlent tous les jours. C’est clairement la langue utilisée par défaut. On l’entend partout dans la rue, les enfants le parlent entre eux, et tout est d’abord écrit en Gallois puis traduit en Anglais.
Nous arrivons enfin au marché … déception ! Il n’y a que trois tout petits stands qui ne vendent que des babioles ou des vêtements, aucun produit frais et encore moins de fermiers ! Le plus typique reste le stand de lunch-boxes jamaïcain… de rage et dépit nous nous offrons un déjeuner « comme aux Antilles », avant de finir au supermarché…
25-26 avril : Pwllheli – Holyhead (80 M)
Il nous reste quelques jours avant l’arrivée de nos amis, et encore du vent de Sud, ce qui nous incite à avancer vers le Nord autant que possible. Le courant n’est pas tout à fait de cet avis, lui qui coule vers le Sud pendant les heures « faciles » en ce moment, (de 9 heures à 16h en gros). Les passages au ras de la côte ne nous sont donc pas accessibles et il nous faut faire de grands détours au large face au courant. C’est comme ça que l’on finit par faire 50 milles pour simplement faire le tour de la pointe… Le temps devient gris et humide, heureusement nous voyons nos premiers macareux du voyage ce qui nous remonte le moral.
A l’arrivée sur le mouillage choisi, des rafales plutôt fortes balayent le plan d’eau… La côte est assez élevée et nous retrouvons les fameuses accélérations catabatiques qui peuvent rendre un mouillage apparemment protégé extrêmement inconfortable. Après une première tentative à Port Dinllaen, nous nous déplaçons à Port Nefyn, plus rouleur mais moins rafaleux. Il fait un temps de légendes celtes : gris et à moitié humide, les montagnes tombent à la verticale dans la mer, ambiance de bout du monde…
Le jeu du lendemain consiste à arriver exactement à l’heure de la renverse à la pointe « South Stack » à l’ouest de Holyhead, comme un raz de courant peut facilement se créer et nous sommes en période de forts coefficients. Plus facile à dire qu’à faire avec ce vent portant très variable. Nous essayons plusieurs combinaisons de voiles : voiles en ciseaux, génois seul, génois tangonné seul, un peu de moteur aussi, puis pas mal de grand-voile seule et arrivons pile à l’heure au bout du cap.
La renverse est radicale et d’un coup nous fonçons à près de neuf nœuds. De bonnes rafales catabatiques soufflent sous le vent de la montagne, et nous atteignons vite le bout du brise-lames de Holyhead, le plus long du Royaume-Uni avec son mille et demi.
Encore une fois, l’abri de Sud est tout relatif et c’est dans des rafales à force 6 que nous entrons dans la rade. Il y avait un grand port de plaisance avec des pontons et tout ici, mais une tempête de Nord-Est à tout détruit en une nuit de mars 2018, un cauchemar… Depuis le mouillage est déconseillé à cause des nombreux débris qui jonchent le fond de la baie, et à part un petit bout de ponton qui a survécu, il ne reste que les bouées du Sailing Club pour accueillir les visiteurs. Des bouées certes, mais le service en plus ! Un bateau-taxi est disponible toute la journée pour vous amener à terre (enfin, si vous avez une VHF anglaise avec les canaux M1 ou 37, sinon il faut appeler la réception qui appelle le bar qui court les chercher sur le ponton…). Le Club, équipé de douches, wifi et bar, semble le centre culturel du coin et emploie une bonne demie-douzaine de personnes, toutes très serviables. Un cadre bien confortable pour cette prochaine escale.
27 au 30 avril : Holyhead
Un petit front de Sud est prévu pour ce premier jour sur le coffre, et nous ne sommes pas déçues. Pour la première fois nous voyons 30 nœuds à l’anémo, ça valait le coup de le réparer ! Le coffre tire mais tient, au moins nous avons maintenant toute confiance pour y laisser UtPåTur le temps d’aller découvrir l’arrière-pays.
Nos amis de l’Escale ont grandi ici avant d’aller parcourir les mers sur leur magnifique Allures 45. Ils connaissent les coins à ne pas manquer et nous emmènent faire une très chouette rando dans le massif de Snowdonia, puis visiter le village historique de Caernarfon. On y retrouve un parfum de légendes Celtes, le roi Arthur n’est jamais très loin. Beaucoup de mots Gallois sont d’ailleurs similaires au Breton (aber, gwinn, du etc.) Il fait un temps proprement estival, les shorts et T-shirts sont de sortie ! La glace à la bonne crème galloise est bienvenue sous ce soleil de plomb ! En rentrant, nous passons en voiture au-dessus du « Menai straight », le bras de mer étroit, peu profond et aux courants terribles qui sépare l’île d’Anglesey de la terre. Et bah avec 108 de coefficient de marée on est bien contentes de ne pas y être allées en bateau !
On passe également du bon temps à bord d’UtPåTur, à refaire le monde et à parler de nos compagnons en aluminium respectifs. Nous avons même le droit à un tutoriel dessalinisateur en bonne et due forme, et réalisons qu’il nous manque sans doute un filtre carbone neuf avant de le redémarrer, ainsi que du glycol alimentaire pour pouvoir le ré-hiverner si jamais ça ne marche pas (si jamais…)
C’est que nous ne sommes pas encore libérées de nos petits soucis techniques. Le moteur de l’annexe n’en fait toujours qu’à sa tête : un jour il fonctionne parfaitement, un autre il refuse obstinément de démarrer. Là, ça fait quelques jours qu’il sait enfin ce qu’il veut : ne pas démarrer. Notre vanne d’évacuation des eaux noires (celles qui fuyait à la mise à l’eau) nous fait de nouvelles frayeurs en étant subitement extrêmement dure à manipuler… Celle-là c’est sûr on la change cet hiver… On a déjà une belle liste de travaux pour notre prochain chantier… Mais à part ça tout va bien, nous pouvons reprendre notre route dans un vent qui a, devinez donc, tourné au Nord bien sûr !
1- 4 mai : Holyhead – Glenarm (167 M)
Départ de Holyhead au près dans un bon vent de Nord donc, direction l’Irlande, on verra bien où on atterrira. Si l’on ne maîtrise pas la direction du vent, on peut au moins tenter d’exploiter au mieux celle des courants. Nous partons avec toute une marée qui nous porte au Nord, pour essayer de gagner des milles gratuits dans cette direction. Mais cela signifie naviguer avec le vent contre le courant et la mer est vraiment défoncée. Notre vitesse s’en ressent, à peine quatre nœuds… En approche de l’Irlande le courant renverse même s’il est moins fort et nous repousse vers le Sud : nous ne faisons à peine mieux que du plein ouest. Le paysage est superbe cela dit, avec les montagnes Morne qui se détachent sur l’horizon.

L’Irlande en ligne de mire!
La côte est proche, après ce grand bord en S à travers la mer d’Irlande, il faut virer. Et là c’est le drame… UtPåTur est un dériveur et ses performances au près sont vraiment dégradées par rapport à celles d’un quillard. Nous le savons, mais à chaque virement c’est la même désillusion… Notre cap affiché est maintenant du … 125… on retourne au Pays de Galles…
Le vent tombe également, même s’il doit se relever dans la soirée. Alors on se rappelle tous ces « gros » bateaux qu’on a vus avancer brutalement au moteur face au vent pendant que nous tirions des bords si « élégants » sur Saltimbanque, et nous décidons de faire pareil… eh bien cela fonctionne parfaitement tant que le vent est mou et nous fonçons en route directe. Au passage nous commençons à personnifier un peu les éléments d’UtPåTur et avons trouvé des noms pour nos moteurs. Après Nestor, puis Junior, les moteurs sur Saltimbanque, voilà…. Musclor ! Avec ses 54 chevaux on peut compter sur sa puissance ! Quant au moteur de l’annexe qui fait sa diva en permanence, c’est bien sûr… la Castafiore ;o)
Le courant renverse de nouveau, en notre faveur. Le vent se lève également, commence à atteindre force quatre, puis force cinq, contre le courant. La mer devient franchement mauvaise. Toujours au moteur, le bateau bute dans chaque vague, tape, nous avançons à peine à trois nœuds en surface. Nous n’aimons pas ça du tout et décidons de repartir à la voile et de tirer des bords toute la nuit s’il le faut.
À la voile tout va toujours mieux. Sous un ris et trinquette dans 23-24 nœuds de vent apparent, le bateau passe bien la mer. On se rend compte qu’un gros bateau est plus confortable dans les conditions fortes qu’un petit. Nos bords sont moins désespérants avec le courant favorable, et nous avons beaucoup gagné de terrain au moteur, si bien que nous arrivons à rentrer dans la baie de Belfast sur les dernières gouttes de la marée. Une fois dans la baie le courant est plus faible, la mer est plate, et au bout de quelques bords, nous finissons de toute façon au moteur (une demi-heure de moteur contre deux heures et demies à la voile, il est déjà minuit, le choix est vite fait).
Un front de Nord force six est prévu pour le lendemain, et nous mouillons pour la nuit à côté du port de Carrickfergus, tout près de la plage grâce à notre petit tirant d’eau (le plus du dériveur). L’idée est de rejoindre un ponton dès le lever du jour. Au moment de se coucher et donc de mettre un réveil pour manœuvrer avant que le vent ne se lève, on se dit : « mais en fait, maintenant qu’on a un gros bateau avec une bonne ancre, et si on restait mouillées ? C’est sans doute le mouillage le mieux protégé de Nord de toute la côte Irlandaise ici… » Chose dite chose faite, le réveil restera éteint !
Le vent se lève comme prévu et nous aurons jusqu’à 30 nœuds sur notre mouillage au pied du château de Carrickfergus. Heureusement que nous l’avons déjà visité l’année dernière car il n’est pas question d’aller à terre en annexe tout de suite. On en profite pour se reposer et s’occuper du bateau. Le thème des pannes ces jours ci, c’est fluides dégoûtants. En pleine traversée de la mer d’Irlande nous avons remarqué pas mal de diesel dans les fonds, dû à une fuite au niveau de la jauge sur le réservoir. Nous avons pu réparer en mer mais il nous faut encore vérifier et nettoyer. Et puis pour ne pas qu’on ne s’ennuie, c’est la pompe des toilettes qui se bouche et qu’il faut aller nettoyer « in situ ». Voilà…

Le château de Carrickfergus s’apprécie aussi vu de la mer…
Après près de 24h à souffler trop fort dans le mauvais sens, le vent mollit et nous pouvons repartir vers le Nord. Grâce à un peu d’Est dans le vent du Nord, nous avons un bord favorable pour remonter le long de l’Irlande du Nord, puis un bord direct ! Tout ça arrosé d’un bon courant portant de 2 nœuds et nous arrivons à Glenarm sur une marée. Cela nous laisse un peu de temps pour se reposer, faire un brin de ménage (nous veillons le plus souvent depuis l’étage et les fenêtres sont vite obscurcies par le sel, il faut les laver à l’eau douce fréquemment), et un grand tour de vélo pour Laure qui se repose toujours beaucoup mieux en faisant du sport !
On change de thème de pannes également, aujourd’hui c’est fluides propres ! Un peu d’eau douce dans les fonds sans doute due à une fuite sur le réservoir d’eau douce au remplissage, et une goutte salée d’origine inconnue, pas forcément inquiétante vus les paquets de mer que nous avons essuyés ces derniers jours…
On ne s’éternise pas : nous sommes déjà venues ici l’été dernier, et les marées sont tôt le matin en ce moment… Bonne nuit !
5 mai : Glenarm – Rathlin (24 M)
Nos amis de Wayfarer rencontrés à Lerwick l’année dernière nous en avaient parlé avec des étoiles dans les yeux, la petite île de Rathlin se situe tout au Nord de l’Irlande, à l’intersection entre trois gros raz de courants pouvant lever des mers très fortes. Le temps est en train de s’établir au beau fixe grâce à un anticyclone qui gonfle sur les îles Britanniques et les coefficients de marée sont faibles, en route donc vers la jolie petite île !
Poussés par les puissants courants de la pointe Nord-Est de l’Irlande, nous passons la très impressionnante pointe de Fair Head et ses colonnes basaltiques, avant d’être surprises par de fortes rafales catabatiques à la pointe Sud de Rathlin : près de vingt nœuds alors que le vent synoptique n’atteint pas les cinq, ce n’est vraiment pas l’endroit où venir par mauvais temps…
Le petit port est vraiment charmant, creusé dans la plage. L’accueil est des plus chaleureux, avec UNE capitaine de port, qui nous parle des problèmes de maintenance et de la vie de l’île avec la même volubilité. Sympa :o) Le reste de l’île est très bucolique, verte et jaune d’herbe et d’ajoncs, sans arbres. Vallonnée aussi, la traversée en vélo n’est pas de tout repos ! Mais à la pointe Ouest, à côté du phare « à l’envers » (oui, la lanterne est en bas de la tour « sous le brouillard », du coup on ne sait pas pourquoi ils ont quand même fait une tour…), des milliers d’oiseaux marins ont élu domicile pour la saison de nidification. On y retrouve nos chers guillemots, fulmars, mouettes tridactyles, et même quelques macareux. Alors certes nous sommes toujours officiellement en Irlande, mais nous commençons à trouver un franc parfum d’Écosse ! D’ailleurs on voit très bien Islay juste au Nord. Seul le grand soleil nous semble un peu incongru pour la région…
De retour au port, l’ambiance est toujours très sympathique et décidons d’aller nous offrir une pinte au petit pub sur la plage. On emmène aussi notre tablette de navigation pour préparer nos prochaines étapes. Demain, on entre en Écosse !

Le soir tombe sur cette magnifique escale…
Ceux qui pourraient assimiler votre nouvelle vie à une forme de « retraite » se goureraient magistralement !!! Quand on suit la fréquence, la diversité, et l’intensité des difficultés que vous rencontrez, matérielles ou météorologiques, on voit bien que c’est du boulot à plein temps, même nocturne. Heureusement que c’est votre choix et votre plaisir. En même temps, vos petits plaisirs, de découvertes spectaculaires, pittoresques ou émouvantes, jalonnent vos parcours. Et aussi la gratification de retrouver vos amis, ou de faire des rencontres sensibles. Comme toujours, vos lecteurs vivent intensément aussi vos récits. Le temps et la peine de les écrire doivent ainsi en être récompensés. Dans l’intervalle, on suit, sur Marine Traffic ! Grosses bises…